SEPTEMBRE BLANC - médecins contre la mondialisation néolibéraliste nous écrire personnellement
hommage à  Valérie Gur-Aubert


Manifeste

Comité Septembre Blanc Manifeste 2001

Médecins contre la mondialisation néolibérale

 

« Ce monde est menacé de disparition si nous laissons l’économique régir la totalité de nos vies. Comme si un médecin n’était qu’un fournisseur de soins et non un visage avec des yeux qui regardent, un sourire qui réconforte, et une âme qui entend l’indicible musique du cœur. »
Docteur Valérie Gur-Aubert

Le Comité Septembre Blanc a été créé par notre consoeur Valérie Gur-Aubert, en Septembre 2000. Elle était blanche de rage face au démantèlement de notre système de santé.
Un an après, nous restons rouges de colère devant les méfaits du néolibéralisme constatés dans notre pratique médicale.

Sommaire

1) Mais qu’est-ce que la mondialisation néolibérale peut bien avoir à faire avec la médecine? Etat des lieux

2) Le néolibéralisme, par l’intermédiaire de l’OMC, est en train de nous organiser un immense supermarché de la médecine: qui paye aura accès à tous les progrès médicaux (même les gadgets les plus inutiles)…, et les autres pourront faire la manche au bas de l’escalier roulant

3) Imaginons un système de santé…

 

Comme nous rappelle le Serment de Genève (version du Serment d’Hippocrate adopté en 1948 par l’Association Médicale Mondiale), que tout médecin s’est engagé solennellement à respecter, « Je ne permettrai pas que des considérations de religion, de nation, de race, de parti ou de classe sociale, viennent s’interposer entre mon devoir et mon patient. »

Le rôle d’un médecin n’est pas de soigner uniquement les patients rentables.

 

1) Mais qu’est-ce que la mondialisation néolibérale peut bien avoir à faire avec la médecine? Etat des lieux:

Pour rappel, la politique de la mondialisation néolibérale est basée sur:

  • l’augmentation de la consommation (publicité, concurrence)
  • la diminution des charges liées au personnel et de tout ce qui n’est pas rentable (restructurations, fusions)
  • l’augmentation des profits par tous les moyens
  • l’affaiblissement de l’état en lui faisant supporter les charges des secteurs déficitaires, et en privatisant les secteurs lucratifs.

Ses effets pervers sont l’accroissement des inégalités sociales et la perte de toute notion de solidarité, associés à un démantèlement des systèmes sociaux.
Ces mêmes mécanismes se retrouvent dans tous les secteurs de la société. (1)

En ce qui concernent ceux qui touchent plus particulièrement à la santé, nous pouvons citer les suivants :

- Chaque médecin a pu constater ces dernières années l’augmentation des consultations liées directement aux effets délétères sur la santé physique et mentale dans les situations de licenciement, de chômage, du RMCAS, de l’AI, de la retraite anticipée,…(2,3)

- Plus encore, les nouvelles organisations du travail, venues des USA, ont provoqué l’apparition de nouvelles pathologies au sein même des entreprises. Le new- management, avec son climat d’insécurité (vais-je être vidé? serai-je capable de suivre le nouveau rythme imposé? dans quelle succursale vais-je être envoyé? vont-ils baisser mon salaire pour m’inciter à prendre une retraite anticipée?, etc…) correspondant en fait à une forme particulière de mobbing destiné à déstabiliser les employés, à leur faire perdre confiance en eux, afin qu’ils finissent en arrêt de maladie ce qui permet d’éviter des licenciements de restructuration toujours mal vus. Il semble même qu’il existe des écoles de management où l’on apprend à mobber pour vider ! (4,5,6)

- Les mêmes conditions de précarité, dues à la concurrence déloyale des grands centres commerciaux, se retrouvent chez les petits commerçants et artisans, mis en faillite. Ils leur faut se recycler comme salariés, souvent temporaires, ou bien au chômage. Au mieux, ils se retrouvent employés des grandes boîtes qui les ont mis en faillite et au sein desquelles de petits chefs leur ordonnent de faire un travail bâclé visant à la seule rentabilité, alors qu’ils avaient appris un « savoir-faire », dont ils étaient fiers et qui les rendaient heureux. Je pense là, aux boulangers de la Placette, aux bouchers de la Migros, aux libraires de chez Payot, aux fromagers, aux quincailliers, etc..
Leur disparition entraîne une perte de la convivialité du réseau social dans les quartiers, une diminution des contacts humains favorisants toutes les pathologies dues à la solitude et au manque d’entraide. De plus, la création de ces centres commerciaux de plus en plus gigantesques forcent les gens à faire leurs achats en voiture, ce qui entraîne une augmentation de la pollution, du stress et une perte de temps. Il est notoire qu’ils consomment plus que nécessaire, manipulés par la publicité mensongère, et aussi que la qualité des produits vendus est de plus en plus déplorable. (7)

- Le même démantèlement se retrouve dans les campagnes, avec la disparition des petits paysans au profit d’entreprises qui pratiquent les cultures intensives. Les campagnes ne sont plus entretenues. Les agriculteurs se voient forcés d’utiliser des engrais et des insecticides toujours plus dangereux, des produits transgéniques incontrôlables, ceci pour le profit à court terme de firmes chimiques désireuses de contrôler financièrement toute la chaîne agroalimentaire. Les conditions d’élevage des animaux sont inadmissibles, il s’agit d’ un crime contre l’Espèce Animale, indigne de la morale humaine. Il n’est pas étonnant que cette course effrénée à la rentabilité, faisant fi de toute éthique, conduise à des catastrophes écologiques et aux risques médicaux majeurs de la Malbouffe. (8)

- La déréglementation du commerce, le bradage des prix des produits en provenance du Sud, et les dettes faramineuses imposées par la Banque Mondiale et par le FMI, entraînent une augmentation constante de la pauvreté dans le monde. Des millions de personnes doivent quitter leur pays, leur entourage, leur culture et tentent de fuir vers le Nord, émigré(E)s politiques ou économiques, qui, s’ils (ELLES) ne meurent pas en mer ou dans la cale d’un avion, se retrouvent au mieux prostitué(E)s, travailleu(SES)rs sans papier, à la merci des brimades racistes quotidiennes, sans couverture sociale ni médicale, et sans avenir. Et ce n’est pas la privatisation de l’eau, préconisée par l’OMC pour ces pays, qui risque de résoudre ces problèmes étant donné les enjeux financiers que ces projets de privatisation cachent. (9)


Nous pourrions encore allonger la liste des méfaits du néolibéralisme sur le bonheur humain, si nous abordions les problèmes de la privatisation de l’enseignement, des ressources énergétiques, des moyens de communications et de la culture, qui ont aussi des répercussions sur la santé, comme elle est définie dans la Charte d’Ottawa (1986) :

« Pour parvenir à un état complet de bien-être physique, mental et social, l’individu ou le groupe doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins, et évoluer avec son milieu ou s’y adapter. La santé exige un certain nombre de conditions et de ressources préalables, l’individu devant pouvoir notamment : se loger, accéder à l’éducation, se nourrir convenablement, disposer d’un certain revenu, bénéficier d’un écosystème stable, compter sur un apport durable de ressources et avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. »


« Demain, seuls les riches auront-ils le droit d’être malades? » (ACR)



 

2) Le néolibéralisme, par l’intermédiaire de l’OMC, est en train de nous organiser un immense supermarché de la médecine: qui paye aura accès à tous les progrès médicaux (même les gadgets les plus inutiles)…, et les autres pourront faire la manche au bas de l’escalier roulant.


Tous les experts savent qu’il y a une forte volonté actuelle de la part de l’OMC d’augmenter la privatisation des services publiques dans tous les secteurs vitaux de la société, et en particulier celui de la santé. Ce sera d’ailleurs l’un des sujets de discussion lors de la prochaine réunion de l’OMC au Qatar en Novembre 2001.
Selon Susan George, vice-présidente d’Attac-France, et responsable de l’Observatoire de la mondialisation à Paris : « Cela fait cinq ans qu’on manigance les manières d’ouvrir tout cela au commerce, et il y a beaucoup de firmes, notamment américaines, qui disent très ouvertement qu’elles veulent avoir leur ouverture dans ces services publiques en Europe. En particulier, elles veulent -comme elles disent- le marché des plus de soixante-cinq ans dans la santé. (…). Elles voient tout cela comme des marchés alléchants à prendre ; et elles ont raison, car si on comptabilise tout ce que les pouvoirs publiques dépensent dans le monde ( …) ce sont, pour la santé, 3500 milliards de dollars. Des marchés gigantesques et bien juteux. » (Le Courrier, samedi 28 Juillet 2001).

Tout cela a déjà commencé. Dans notre pratique médicale, jour après jour, nous pouvons observer de petits changements, qui paraissent anodins pris isolément, mais qui s’inscrivent dans un processus insidieux et volontairement programmé de mise en place de la politique néolibérale dans le secteur de la santé.

Concrètement quelques exemples, en Suisse, à Genève, chez nous :


- Les médecins de quartier sont-ils appelés à disparaître?

Sous prétexte d’une rationalisation des soins et d’une diminution des coûts, différents acteurs du système sanitaire suisse tentent d’imposer de nouvelles structures médicales. Comme pour les petits commerçants, paysans ou artisans, la mondialisation néolibérale tend à faire disparaître les médecins indépendants au profit de plus grosses entreprises (cliniques privées, centres d’urgences privés, etc..) souvent américaines, dirigées par des administrateurs non médecins, ayant décidé de rentabiliser au maximum le marché de la santé. Sous leur impulsion, on s’est mis à parler des personnes ayant besoin d’être soignées comme des « clients », et des soignants comme des « prestataires de soins ». Ce sont des termes juridico-économiques. Les mots choisis ne sont jamais anodins.
Dans ces entreprises, les médecins sont payés au pourcentage ou même déjà salariés. De ce fait, ils sont incités à augmenter leur prescription d’examens médicaux , sous peine de subir des pressions de baisse de salaire, voire de licenciement pour manque de rentabilité ! Ainsi par exemple, à Genève, certains orthopédistes sont convoqués régulièrement par l’administrateur de la clinique où ils travaillent et sont vertement tancés si leur nombre d’IRM et autres examens de pointe coûteux a baissé…
Le projet de la politique néolibérale d’augmenter les bénéfices des grosses entreprises par l’ augmentation de la privatisation en médecine, inclut aussi le fait de se débarrasser des patients non rentables, et de les diriger, soit vers les services publiques, soit vers des systèmes de soins limités au plus bas de type HMO, réseaux ou plan de santé. Ces systèmes par lesquels on s’imagine diminuer les coûts de la santé en diminuant les prestations ont fait la preuve de leur non efficacité et de leur dangerosité à long terme, aux USA, où ils existent depuis plus de quinze ans. Ces systèmes ne marchent que pour des patients jeunes et en bonne santé, mais quand avec l’âge ils commencent à devenir malades, c’est la catastrophe !
Selon Madame Marie Kuffner, présidente de la California Medical Association : « Nous, médecins, avons tenté de travailler avec les organisations de santé à but lucratif en essayant de diminuer les abus à travers la législation, mais cela n’a servi à rien. Nous ne pouvons pas continuer de laisser gâcher la santé de nos patients à cause de la cupidité des assureurs. Pendant des années, ces compagnies guidées par le profit ont dénigré des services pourtant nécessaires, interféré avec les décisions médicales, et valorisé les dollars plus que les vies humaines. Nous disons : c’est fini dans l’Etat de Californie ». (10)
Mais ne soyons pas dupes, de leurs propres aveux, ces tentatives de mise en place de divers petits réseaux de soins en Suisse ces dernières années, ne sont considérées par les Caisses-maladie que comme des essais avant l’objectif final. Ce qu’elles veulent vraiment c’est la disparition de la liberté de choix du médecin par le patient, autre expression pour remplacer celle de « suppression de l’obligation de contracter » que les assurances utilisent pour donner l’impression qu’elles auraient le droit de se libérer d’un horrible fardeau ! Leur argument est qu’il y a trop de médecins et qu’il faut se débarrasser de ceux qui coûtent trop cher.
En ce qui concerne l’augmentation du nombre de médecins à Genève, l’argument ne tient pas car la pratique médicale a changé et 40% des médecins travaillent à temps partiel (en particulier du fait du fort taux de féminisation de la profession). Par ailleurs, l’approche thérapeutique des patients s’est considérablement modifiée au cours de ces 20 dernières années en privilégiant le temps d’écoute, la prévention et l’enseignement thérapeutique. De plus, le nombre de consultations liées aux méfaits du néolibéralisme représente un pourcentage non négligeable des consultations. Les maladies liées au travail représentent actuellement entre 15 à 30% des coûts globaux de la santé, et sont en augmentation. (4)
D’autre part, la prétention des assurances à choisir les médecins remboursables ou pas, et de mettre en faillite immédiate les médecins qui ne permettent pas aux assurances de faire suffisamment de bénéfices est inadmissible. Il nous semble que juger de la pratique médicale de nos confrères et consœurs n’est pas du ressort de ces guignols financiers (voir plus loin). Paradoxalement, les caisses maladies ne mettent pas en cause les gains des médecins, car notre indépendance n’est plus économique depuis que nos tarifs sont fixés par la loi, ils remettent en cause notre indépendance de prescription dans la mesure où elle diminue leurs marges de bénéfices.
Or, notre indépendance de prescription reste essentielle à la pratique de notre art, parce que d’elle dépend la possibilité d’une relation personnalisée avec chacun de nos patients. Le mot « privée » utilisé pour définir la pratique des médecins installés n’est pas du tout équivalent à la notion de « privatisation » dans un système néolibéral. Le premier est plutôt équivalent au mot « indépendant », c’est à dire libre d’établir une relation « privée », avec les malades qui lui font confiance, dans une relation de proximité humaine privilégiée à long terme. Le second définit une relation de contrainte suivant des lois purement économiques de rentabilité néolibérale.
Du fait de tout ce qui précède, le système de privatisation néolibérale de la santé est donc totalement incompatible avec le Serment de Genève et risque effectivement bien de mener à la disparition du médecin « indépendant », libre de pratiquer son art, comme il l’a juré devant ses pairs avant de s’installer. (11)


-Toutes les petites pharmacies de quartier vont-elles disparaître?

Les assureurs suisses veulent que la moitié des pharmacies de Genève disparaissent. Pour cela, ils ont déjà modifié le mode de rémunération. Les pharmaciens ne sont plus des pharmaciens puisqu’ils ne gagnent presque plus rien sur les médicaments prescrits par les médecins. Leurs bénéfices se font dorénavant sur la vente et les conseils de la pro-pharmacie et des cosmétiques. Ceci, évidemment, favorise les chaînes de pharmacies type drugstore, qui vendent de tout, et accessoirement des médicaments. Ces chaînes sont en train de se développer, toujours suivant le même système néolibéral de concurrence déloyale vis-à-vis des petites pharmacies de quartiers traditionnelles, de rachats, de fusions, de précarisation des conditions de travail des employés mal payés, mal formés et surexploités.
La suppression des ces petites pharmacies contribuera également à déshumaniser encore plus le tissu urbain: plus de contact humain avec son pharmacien, plus de lien complémentaire entre médecins et pharmaciens d’un même quartier dans l’intérêt d’un meilleur service au patient, longues distances à parcourir pour les malades, les personnes âgées, défavorisées, sans voiture,…
Vous pensez que cela n’arrivera jamais? Pensez aux physiothérapeutes qui ont perdu l’an dernier, définitivement, 40% de leur salaire, les obligeant à licencier leurs secrétaires, à se serrer comme des sardines dans leur cabinet pour pouvoir en assumer le loyer, ou à diminuer le temps dévolu aux traitements, et par là leur efficacité. Qui l’aurait cru? C’est bien réel.


-Savez-vous qu’Unilabs, société financière américaine, est en train de racheter presque tous les laboratoires d’analyses de Suisse Romande… et d’ailleurs? (12)

Vous êtes sceptiques? Consultez le bottin téléphonique 2001. Sous Unilabs, vous retrouverez les adresses des anciens laboratoires comme Rioton, Bioanalytique, Gras, Monnier-Spoerri, Anamed,... Mais leur projet ne s’arrête pas là. C’est votre laboratoire de praticien qu’ils visent. Car croyez-vous vraiment qu’une entreprise actuelle va prêter des appareils Reflotron, coûtant plus de 15000 francs, gratuitement aux médecins par pure charité? Malgré la clause de sécurité, inscrite par l’AMG, précisant l’indépendance du choix du laboratoire sous-traitant les autres analyses des médecins, il est évident que si pendant 2 ans vous n’utilisez pas Unilabs, ils vous reprendront l’appareil. Par ailleurs, s’ils arrivent à une situation de monopole des laboratoires d’analyses, ce sont eux qui fixeront les conditions, et s’ils veulent fermer nos laboratoires de praticiens, cela leur sera tout simple. Cela sera aussi valable pour les coopératives comme Esculab.
Voici encore un exemple du jeu de Monopoly néolibéral !

-Les génériques... ou le monstre du Loch Ness.

Il est bien connu que le prix de fabrication d’un médicament oscille entre 15 à 30% de son prix de vente. (13) Comment ne pas être étonné de voir pousser au cours de ces dernières années de nombreuses entreprises de vente de médicaments dits génériques, qui se vantent de diminuer les prix d’environ 30% par rapport au médicament original ! La prolifération de ces entreprises spécialisées en génériques montre que les bénéfices qu’elles font sont largement supérieurs aux bénéfices occasionnés pour la collectivité par la diminution du prix de ces médicaments. Sous un couvert social et solidaire, des entreprises font des bénéfices énormes sur le travail des autres et sans rien investir dans la recherche.
De plus, les exigences actuelles pour l’enregistrement d’un produit générique n’exigent qu’une preuve d’équivalence sur l’efficacité thérapeutique et la sécurité de plus ou moins 20%. (14) Ceci explique pourquoi les représentants pharmaceutiques des produits génériques nous conseillent eux-mêmes de ne pas les prescrire de façon intempestive à des personnes âgées ou de santé délicate (!).


-La FMH oblige les médecins suisses à subir 40 heures par année de propagande publicitaire offerte généreusement par les firmes pharmaceutiques…

Relisez l’éditorial du Dr Bl.Bourrit dans la Lettre de l’AMG de Février 2001.
Selon une stratégie réfléchie de longue date, les firmes pharmaceutiques ont décidé de prendre en main toute la formation continue et l’information des médecins. Auparavant, elles sponsorisaient. Actuellement, ce sont elles qui organisent la majorité de nos colloques de formation continue reconnus par la FMH, y compris dans les hôpitaux universitaires, qui ont pourtant une subvention pour la formation. Cette année, le ton est donné par les Updates MSD à l’HCUG. Rappelons qu’en Novembre 2000, MSD a été dénoncé à la justice en Hollande pour avoir violé le code de déontologie du marketing médical en utilisant plus de 10% du temps de leur colloque à de la publicité pour leur produit.
Actuellement, en Allemagne, 90% des colloques de pharmacothérapie sensés être indépendants sont organisés par l’industrie pharmaceutique. (15)
En France, récemment, la Cour des Comptes dénonce une formation continue « laissée au bon vouloir des industriels », « l’usage d’une prescription excessive tant en quantité qu’en qualité des médicaments prescrits au regard du seul intérêt des malades (…), excès commis en toute bonne fois par les médecins, résultant de ce que la quasi-totalité de l’information qu’ils reçoivent sur les médicaments proviennent directement ou indirectement des laboratoires. ». L’honorable Cour cite le budget marketing des laboratoires français selon le syndicat patronal du secteur : 150 000 à 200 000 fr. français, par généraliste et par an, soit un ratio d’un visiteur médical pour 3 médecins généralistes en activité! (16)
Ces « fournisseurs de services en éducation médicale », bourrent nos boîtes aux lettres de journaux en papier glacé pseudo-scientifiques. Plus grave, le groupe privé Hirslanden envisage de créer une faculté de médecine en collaboration avec l’Université de Fribourg. Il s’agirait d’un premier pas vers la privatisation des universités en Suisse.
Pendant le Premier Congrès des Fédérations Européennes de Médecine Interne à Maastricht, en Octobre 1997, à l’occasion d’une table ronde avec les éditeurs des plus prestigieux journaux de médecine interne mondiaux, il ressortit qu’ il y avait un consensus évident sur le fait que les firmes pharmaceutiques visaient particulièrement la formation continue des médecins en ce qui concerne la prescription des médicaments de type « préventifs » contre les maladies cardio-vasculaires, l’ostéoporose, etc…, et qu’il fallait que nous restions très vigilants pour ne pas nous laisser entraîner dans une dérive de prescription de 4 à 5 médicaments préventifs quotidiens, très chers, et dont l’efficacité à long terme était loin d’être prouvée pour l’amélioration globale de la santé.
Jérôme P. Kassirer, alors rédacteur en chef du New England, et présent à la table ronde, a d’ailleurs donné avec fracas sa démission du New England en 1999, parce qu’il refusait d’être obligé de cautionner de son nom des travaux pseudo-scientifiques produits par des firmes faisant une telle pression sur le directeur du célèbre journal que celui-ci a dû accepter la démission d’un collaborateur connu depuis des années pour sa probité scientifique.
« Something is rotten in the state of Denmark. », et nous voilà, comme Hamlet devant la tombe, à contempler la profondeur de la perte de nos illusions d’une médecine scientifique et probe.


-Les assurances-maladie suisses sont des « tigres en papier », ce sont nos tours de Babel…

En Suisse, les assurances sont plus riches que l’Etat. Elles ne cessent de fusionner. En ce qui concerne la médecine, les assurances-maladie sont le fer de lance de la politique néolibérale.
Années après années, les primes de base augmentent de manière considérable et injustifiée. Actuellement, elles sont devenues insoutenables financièrement pour les personnes âgées, les familles à bas revenus, les personnes maintenues en état de précarité par la faute du néolibéralisme, etc.., qui ne peuvent survivre qu’en étant assistées, c’est à dire humiliées dans leur indépendance.
En Décembre 2000, on estimait les réserves ainsi accumulées par les caisses-maladie à 4 milliards de francs. Elles refusent, comme la loi les y obligent de publier leurs comptes de manière transparente. Ce que l’on peut constater, c’est qu’elles ont pu investir dans l’immobilier de façon outrancière, même pendant les années de récession du bâtiment. Il suffit de se promener dans la rue, en particulier du côté de Martigny.
Certaines personnalités, comme Madame Françoise Saudan, affirment que ces mêmes caisses-maladie jouent à la bourse avec l’argent des assurés, et qu’elles ne leurs ont pas fait profiter de leurs gains quand il y en avait. En effet, les réserves, un peu comme celles que les régies font avec les charges du chauffage, n’appartiennent pas aux assurances, mais aux assurés, et le surplus devrait leur être rendu en fin d’année. Actuellement, la bourse a tendance à la baisse et tout cet argent des assurés pourrait éventuellement partir en fumée, si la conjoncture devenait très mauvaise. (17)
Les salaires de certains présidents d’assurances maladie frôle le million par année.
A Berne, les assurances maladie font la loi, et personne n’ose s’y opposer. Pourquoi? Il est maintenant de notoriété publique que les parlementaires sont achetés. Quant à l’OFAS, l’organe de contrôle des caisses, il est noyauté par d’anciens …assureurs. Tout est bétonné.(18)

Mais à qui profite le crime?

De par certaines indiscrétions, nous savons que le plan des caisses-maladie est le suivant: elles sont persuadées que d’ici peu d’années, une caisse-maladie unique de base publique sera mise en place ; elle garantira des prestations minimales aux assurés les plus pauvres , mais elle ne suffira pas pour être bien soigné ni pour pouvoir bénéficier des techniques médicales modernes, sans exclusion ni liste d’attente.
Tous les patients qui en auront les moyens devront souscrire à des assurances privées chères afin d’être soignés convenablement. Nous savons de sources sûres que les réserves accumulées actuellement le sont délibérément pour pouvoir alimenter de telles assurances privées, qui elles seront pour le coup rentables. Il y en a qui projettent de gros profits. CQFD.


-Et si nous faisions un peu de pub?

Depuis toujours, les médecins n’ont pas le droit de faire de la publicité. Il paraît que cela va changer et que le néolibéralisme va nous offrir la liberté d’utiliser à notre guise tous les moyens publicitaires, ceci afin de favoriser la concurrence entre nous.
« Chères consœurs, chers confrères,
Nous avons le grand plaisir de vous annoncer l’ouverture de notre nouveau stand médical au Marché aux puces, les mercredis et samedis, sur la Plaine de Plainpalais, à l’emplacement Méditroc. Ce stand est ouvert à tout médecin désirant améliorer ses fins de mois en ces périodes de conjoncture difficile. Nous vous proposons d’apporter, afin de les mettre en vente, tous les objets et autres gadgets que nous recevons chaque jour des maisons pharmaceutiques.
En voici une liste non exhaustive : porte-clé, règle, stylos, stabiloboss, post-it, bloc de papier, porte-documents, sac de plage, sac de montagne, linge de bain, savon, trousse de toilette, boîte à couture (pour les doctoresses), miroir, réveil, posters, loupe, mappemonde, lampe de poche, mouchoirs, tapis pour souris, fausse souris pour se relaxer les doigts, foehn, huile d’olive, läkerli, pannetone, graines à faire germer pour le jardin, légumes pour la soupe, tire-bouchon (pour les docteurs), CD avec musique anti-stress, parapluie, T-shirt, bracelet-montre, gomme, casse-tête chinois, bonbons, bougie, parfum, BD, oreiller gonflable, sablier, jeu de carte, mousqueton, fleurs, gâteaux, jetons pour les caddy, ouvre-papier, verre, linge de cuisine, tasse, peluche, balle de tennis ou de golf, calculatrice, carte de téléphone, chaussettes pour avion…!!!! Pour des raisons d’hygiène, les restes des repas gastronomiques ne sont pas acceptés. »
La concurrence sera dure quand nous aurons à faire notre propre publicité. Qu’offrirons-nous à nos patients pour leur rappeler nos bons services? Faudra-t-il glisser avec nos factures un carnet de fidélité où la treizième consultation sera gratuite? Ou alors changer notre plaque en « Ici Dr.Tarmuche, six minutes pour le prix de cinq »? Ou bien même, s’il fallait vraiment en passer par là, mettre notre photo couleur en affiche à l’entrée des supermarchés?
Voilà qui laisse bien songeur.
Faudra-t-il vraiment un jour inventer des arguments pour faire croire au passant que nous sommes meilleurs que le médecin d’à côté?
« Mes collègues seront mes frères » dit le Serment de Genève.


Nul ne peut l’oublier, la publicité se rattache au premier et au plus redoutable des arts : la manipulation des êtres humains.
(Ignacio Ramonet : La pieuvre publicitaire. Le Monde diplomatique. Mai 2001)


 

3) Imaginons un système de santé…

Pour lutter contre le spectre de plus en plus présent de l’augmentation néolibérale de la privatisation de la médecine, l’idéal serait un système d’assurance publique unique, aux primes indexées sur le salaire, à condition, que l’état ait assez d’argent pour que cette assurance permette des soins de qualité pour tous. Ceci rendrait caduque la nécessité d’assurances complémentaires privées. Attention, une assurance de base publique unique ne garantit pas d’éviter d’aller vers une médecine à 2 vitesses si elle n’offre pas des prestations de qualité à tous.
Pour ce faire, l’argent engrangé actuellement par les assurances devrait être rendu à l’état. Les publicités outrancières des assurances maladie, des cliniques privées, des laboratoires et des firmes pharmaceutiques devraient être interdites, afin de diminuer ces frais généraux dispendieux. L’Etat pourrait produire lui-même des génériques fiables au prix de revient.
C’est le devoir de l’Etat de reprendre en main et d’assurer la formation et la recherche dans le secteur médical, si l’on ne veut pas continuer à dériver vers un phénomène de confusion entre la pensée scientifique et la publicité mensongère. Les services de recherche des universités et écoles polytechniques fédérales devraient retrouver leur indépendance vis à vis des entreprises privées, comme les firmes pharmaceutiques et fabricants de matériel médical.
Dans un système d’assurance publique, les tarifs médicaux seraient conventionnés (comme ils le sont actuellement), et chaque patient garderait la liberté de choisir son médecin en fonction d’affinités propres.
Toutes les économies préconisées ci-dessus étant réalisées, il y aurait assez d’argent pour soigner chaque être humain selon ses besoins, sans excès ni indigence.


« Cette utopie qui vous rassure en rejetant nos espoirs et nos exigences, dans les fumées d’un vain rêve ne risquant pas de menacer vos profitables opérations, est-elle bien l’irréalisable, ou seulement l’irréalisé? »
Théodore Monod: L’émeraude des Garamantes. Souvenirs d’un saharien. Actes Sud, 1992

Références:

  1. J.D.Rainhorn : Le sommet social des Nations Unies : cinq années de perdues? Le Courrier-Dossier : Sommet social. 1 Juillet 2000.
    http ://www.lecourrier.ch/social_sommet/ge2000_19.htm.
  2. G.Meystre-Agustoni et al. : Chômage et santé : analyse de la littérature. Institut universitaire de médecine sociale et préventive. Lausanne, 1997.
  3. P.Boschetti et al. : Droit dans le mur. Dix ans de crise en Suisse : un état des lieux. Editions d’en bas. Lausanne, 1999.
  4. M.Usel, E.Conne-Perréard, J.Parrat et al. : Effets de conditions de travail défavorables sur la santé des travailleurs et leurs conséquences économiques. Conférence romande et tessinoise des offices cantonaux de protection des travailleurs. A paraître. 2001.
  5. Ch.Dejours : Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale. Editions du Seuil. Paris, Février 2000.
  6. V.Gonik : Lorsque l’organisation du travail devient source de pathologies. Revue Médicale de la Suisse Romande. 1999; 119: 549-554.
  7. T.Frank : Etats-Unis : le bonheur est dans le centre commercial. Le monde diplomatique. Août 2001.
  8. J.Bové, F.Dufour et al.: Le monde n’est pas une marchandise. Edition La Découverte. Pocket. Paris 2000.
  9. Vers un Développement Solidaire. OMC : Au service de quel monde? Déclaration de Berne. Juillet 2001.
  10. F.Charatan : Californian doctor’s leaders sue health insurers. BMJ 2000; 320: 1558.
  11. A.Rouget : Courrier du lecteur. Lettre de l’AMG. Septembre 2000/numéro 8.
  12. ATS :Analyse. Unilabs poursuit sa percée ibérique. La tribune de Genève. Mercredi 31 Octobre 2001
  13. Le marché du médicament en Suisse. Pharma Info 2001.
  14. M.Kondo Oestreicher : La nouvelle loi sur les produits thérapeutiques.
    Médecine et Hygiène. 2001 ; 2342 (59) :806-10.
  15. W.Weber : Sponsored continuing medical education under scrutiny in Europe. Lancet 10.2.2001; 357: 9254.
  16. P.Be.: La formation continue des médecins laissée au bon vouloir des industriels. Le Monde. 11 Septembre 2001.
  17. J.M.Guinchard : Primes d’assurances-maladie : la bourse coupable? Le Courrier. Lundi 8 Octobre 2001.
  18. P.Chevalier : « Le lobby des assureurs est plus fort que celui de l’armée ! » propos de Madame F.Saudan. Le Courrier. 10 Août 2001.

Contacts:

e-mail: info@septembre-blanc.ch

PS: si vous désirez être tenu au courant de nos activités, merci de nous faire parvenir votre adresse e-mail (ou fax).

 


  haut de la page